top of page
Mon passage au Séminaire - Jean-Marie Deschênes

Sous un soleil encore chaud d’un milieu d’après-midi de septembre, je descendis de la camionnette qui nous avait conduits, Gilles et moi, de notre village à cet endroit de prime abord, à la fois intrigant et un peu angoissant. J’allais y passer la majeure partie des huit prochaines années de ma vie.

 

En empruntant l’allée centrale, j’aperçus l’imposant édifice de briques rouilles qui nous attendait impassible. Ce gros bloc symétriquement fenêtré, à l’allure plutôt austère, était surmonté de ses trois tourelles me paraissant un peu petites pour l’immense façade qui s’étirait devant nous. En son milieu, un lourd escalier de maçonnerie à deux accès nous invitait déjà à l’inscription. Je m’exécute dès mon arrivée chez l’économe, un petit homme installé dans un bureau un peu sombre où flottait une discrète odeur de cire à planchers.

 

Aussitôt la somme payée, la programmation et l’horaire reçus, le monte-charge hisse au dortoir des     « petits » ma grosse valise recouverte d’une tôle bleu azur. Je la rejoins en gravissant quatre étages par un large escalier de métal, retentissant sous mon pas.

 

La pièce qui allait accueillir mes nombreuses nuits à venir me paraît immense avec ses dizaines de lits blancs placés dos à dos en deux lignes bien droites, intercalées entre les colonnes carrées. En rangeant mes vêtements fraîchement lavés dans la petite armoire accrochée au mur face à mon lit, une discrète odeur de la brise de mon village me monte aux narines et éveille déjà une certaine nostalgie de mon patelin.

 

Cette tâche terminée, je redescends à l’extérieur et je prends timidement contact avec mes futurs confrères demandant à quelques-uns leur nom et leur village d’origine. Toujours plus enclin à écouter qu'à m'exprimer, j’affiche une attitude réservée qui va persister pendant mes huit années dans ces murs.

 

En définitive, me tenant plutôt pénard, mon séjour s’écoulait relativement bien jusqu’au jour tragique de l’ablation de la queue de mon béret indigo. Trois grands garçons parmi les plus hardis et les plus frondeurs vinrent me taquiner un jour de pluie froide d’automne alors que je marchais rapidement sur le préau, à la fois, pour me dégourdir et me réchauffer. Un de ces grands délinquants de méthode attrapa mon béret en feutre, cadeau de ma mère juste avant mon départ de la maison.

 

Les trois auteurs de ce rapt se servaient de ma coiffure comme d’un frisbee, s’amusant à me faire courir pour l’attraper. Et puis, ce fut l’instant fatidique, le coup de grâce: l’un des grands « veaux » saisit la queue de mon béret tout neuf. Il la roula entre ses doigts quelques instants et, d’un coup sec, l’arracha de mon couvre-chef qu’il lança par terre avant de s'éloigner avec ses comparses. Je récupérai avec tristesse mon héritage basque maintenant équeuté.

 

Heureusement, selon ma mémoire, de tels incidents ne se sont pas reproduits. Je fus, tout au plus, affublé au fil des années de quelques sobriquets pas très offensants tels ceux de « Titus, le Saint et le Poète ». Je terminai mes études dites classiques en voguant sur le temps comme sur un long fleuve, tâchant de faire le moins de vagues possible. Cette période vécue sur la pointe des pieds n’a pas permis de connaître mieux mes collègues même après tout ce temps à se côtoyer et c’est là mon plus grand regret.

bottom of page